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Louis D. Brandeis et Samuel D. Warren

Louis D. Brandeis, Samuel D. Warren, "Le droit à la vie privée" (1890)

NOTE INTRODUCTIVE par Françoise Michaut [1]

1. Après avoir évoqué l’œuvre d’Oliver Wendell Holmes, Jr. dans la rubrique histoire de la théorie du droit américaine du précédent numéro de la revue, il est assez logique de se pencher aujourd’hui sur celle de Louis D. Brandeis.

2. Louis D. Brandeis (1856-1941), dans ses fonctions d’avocat, de théoricien du droit et de juge à la Cour Suprême des Etats-Unis donne une remarquable illustration de ce que peut être la « sociological jurisprudence » sous son meilleur jour.

3. Sa plaidoirie (« The Brandeis Brief  ») comme avocat dans l’affaire Muller v. Oregon de 1908, qui comportait deux pages d’argumentation juridique proprement dite et cent pages d’étude sur les effets néfastes des journées de travail très longues des femmes dans les laveries et les usines, est restée célèbre.

4. Juge à la Cour Suprême de 1916 à 1939, il s’inscrit parmi les grandes figures qui ont marqué de leur talent l’histoire de la Cour, partageant souvent l’attitude dissidente d’Oliver Wendell Holmes, notamment en matière de liberté d’expression.

5. Dans son œuvre théorique, deux travaux ont plus particulièrement frappé les esprits :

- son « The Right to Privacy » (écrit à quatre mains avec Samuel D. Warren), un article de 1890 ;

- et « The Living Law  », autre article, à auteur unique celui-là et datant de 1916.

6. « The Right to Privacy » représente une étape décisive, semble-t-il, dans l’histoire des notions de « vie privée » et de droit à la protection de la vie privée. « The Living Law », de son côté, offre un exemple parfait de l’approche sociologique du droit.

7. Qu’on ne s’y trompe pas, pour Holmes, comme l’indique expressément l’un des textes traduits dans la précédente livraison de la revue, et peut-être davantage encore pour Louis D. Brandeis, le droit s’enracine dans la morale. C’est en filigrane dans « The Right to Privacy » et cela éclate dans un échange entre universitaires que relate l’assistant de Louis D. Brandeis à la Cour Suprême, Dean Acheson :

« …il fut aisé…d’amener M. Hudson (un professeur de Harvard qui disait de L. D. Brandeis qu’il était le «  Scientist of the Law », qu’il avait introduit les méthodes du laboratoire dans les tribunaux…) à dire que les principes moraux n’étaient rien d’autre que des généralisations tirées des mœurs ou des notions acceptées à une époque et en un lieu donnés. L’éruption fut encore plus spectaculaire que je ne l’avais prévu… La morale était la vérité ; et la vérité avait été révélée à l’homme en un flot cohérent, continu, jamais tari, par les grands prophètes et poètes de tout temps. Il cita Goethe en allemand et d’Euripide à Gilbert Murray… »

8. Comme Benjamin N. Cardozo, autre représentant de la « sociological jurisprudence » et autre juge à la Cour Suprême, qui l’y retrouva dans les années 1930, L. D. Brandeis insiste continuellement sur l’importance de la connaissance des faits, c’est-à-dire des contextes pour l’édiction de la décision judiciaire et pour la compréhension des précédents :
« La cour s’est réveillée à la vérité de la vieille maxime des civilistes «  Ex facto oritur ius  ». Elle a pris conscience du fait qu’aucun droit, écrit ou non, ne peut être compris sans une pleine connaissance des faits qui l’ont vu naître et auxquels il doit être appliqué. »

9. Pour en savoir plus, bibliographie sommaire :

- Brandeis (Louis D.), « The Living Law », in Illinois Law Review, Vol.X, 1916 ;
- Acheson (Dean), « Working with Brandeis », in Aaron Wildavsky and Nelson W. Polsby, American Governmental Institutions, Chicago, Rand McNally and Co., 1968 ;
- Frankfurter (Felix), « Mr. Brandeis and the Constitution », 1931, in Philip B. Kurland (ed.), Felix Frankfurter on the Supreme Court, Cambridge, The Belknap Press of Harvard University Press, 1970 ;
- Mason (Alpheus T.), Brandeis, Lawyer and Judge in the Modern State, Princeton, Princeton University Press, 1933.


Samuel D. Warren et Louis D. Brandeis

LE DROIT À LA VIE PRIVÉE

Traduction réalisée par Françoise Michaut [2]

« Et cela ne pourrait se faire que sur la base des principes de la justice privée, de la justesse, de la morale et de ce qui convient socialement, des principes qui, lorsqu’ils sont appliqués à un sujet nouveau, font la common law en l’absence de précédent ; et ce d’autant plus quand ils ont été reçus et approuvés par l’usage. » Opinion du juge Willes, in Miller v. Taylor
(Burr., Vol.4, p.2303 et suiv., à p.1312).

1. La protection pleine et entière de la personne et de ses biens est un principe aussi ancien que la common law elle-même ; mais, de temps en temps, il est apparu nécessaire de redéfinir la nature exacte et la portée d’une telle protection. Les changements politiques, sociaux et économiques entraînent la reconnaissance de nouveaux droits et la common law, dans son éternelle jeunesse, se développe pour répondre aux demandes de la société. Ainsi, dans les premiers temps, le droit n’offrait de recours qu’en cas d’interférence physique avec la vie et la propriété, qu’en cas d’intrusion vi et armis. Le « droit à la vie » (« right to life ») ne servait alors qu’à protéger le sujet contre toutes les formes de voies de fait, la liberté signifiait l’absence d’entraves réelles et le droit de propriété garantissait à l’individu la protection de ses terres et de son bétail. Par la suite est venue une reconnaissance de la nature spirituelle de l’homme, de ses sentiments et de son intelligence. Progressivement, l’étendue de ses droits juridiques s’est accrue et le droit à la vie signifie maintenant le droit à jouir de sa vie – le droit à être laissé tranquille, le droit à la liberté garantit l’exercice de privilèges civils étendus et le terme « propriété » recouvre toute forme de possession – immatérielle aussi bien que matérielle.

2. Ainsi, avec la reconnaissance de la valeur juridique des sensations, la protection contre la blessure physique réelle a été élargie aux simples tentatives d’infliger de telles blessures, c’est-à-dire le fait de mettre quelqu’un dans la crainte de telles blessures. Le recours contre les voies de fait a donné naissance au recours contre les menaces. [3] Beaucoup plus tard est apparue une protection spéciale de l’individu contre les bruits et les odeurs dérangeants, contre la poussière et la fumée et contre les vibrations excessives. Le droit contre les nuisances s’est ainsi développé. [4] De même l’attention aux émotions humaines a rapidement entraîné l’élargissement de la portée de l’inviolabilité de la personne au-delà du corps de l’individu. Sa réputation, son statut au milieu de ceux dont il partage la compagnie a été pris en compte et le droit contre la calomnie et la diffamation a fait son apparition. [5] Les relations de famille d’un homme en sont venues à faire partie de la conception juridique de sa vie et l’aliénation de l’affection de sa femme a été tenue pour susceptible d’un recours. [6] De temps en temps, le droit s’est arrêté, – comme dans son refus de reconnaître l’atteinte par séduction à l’honneur de la famille. Cependant même là, les demandes de la société ont été satisfaites. On a eu recours à une fiction sans panache, l’action per quod servitium amisit et, en permettant la réparation du dommage porté aux sentiments des parents, un remède adéquat se trouvait en général fourni. [7] Parallèlement à la croissance du droit à la vie s’est développée la conception juridique de la propriété. De la propriété matérielle sont sortis les droits incorporels qui en découlaient ; puis s’est ouvert le vaste domaine de la propriété immatérielle, des produits et des processus de l’esprit, [8] en tant qu’œuvres littéraires et œuvres d’art, [9] clientèle, [10] secrets commerciaux et marques. [11]

3. Ce développement du droit était inévitable. L’intensité de la vie de l’esprit et des émotions et l’élévation du degré de sensibilité qui allaient de pair avec le progrès de la civilisation, ont fait prendre conscience aux hommes qu’une part seulement de la souffrance, du plaisir et des bienfaits de la vie réside dans des choses matérielles. Les pensées, les émotions et les sensations demandent une reconnaissance juridique et la belle aptitude à croître qui caractérise la common law a permis aux juges d’offrir la protection nécessaire sans l’intervention du législateur.

4. Des inventions et les activités commerciales récentes attirent l’attention vers l’étape suivante qui doit être atteinte pour la protection de la personne et pour assurer à l’individu ce que le juge Cooley appelle le droit « à être laissé tranquille ». [12] Les photographies instantanées et l’activité journalistique ont envahi le lieu sacré de la vie privée et domestique ; et de nombreuses inventions menacent de donner raison à la prédiction que « ce qui est murmuré dans le secret sera crié sur les toits. » Depuis des années s’est imposé le sentiment que le droit doit offrir un recours contre la circulation non autorisée des portraits des personnes privées ; [13] et le mal que représente l’invasion de la vie privée par les journaux, profondément ressenti depuis longtemps, a fait l’objet d’une discussion récente par un bon auteur. [14] Les faits allégués dans un cas assez célèbre, soumis à un tribunal inférieur de New York, il y a quelques mois, [15] impliquaient directement l’examen du droit de faire circuler des portraits et la question de la reconnaissance et de la protection par notre droit d’un droit à la vie privée sous ce rapport et sous d’autres encore doit bientôt venir devant nos cours pour examen.

5. Le caractère désirable – la nécessité même – d’une protection de ce type est tenue pour indubitable. La presse outrepasse de toutes parts les limites évidentes de la correction et de la décence. Le commérage n’est plus réservé au désoeuvré et au vicieux, c’est devenu une industrie effrontément exercée. Pour satisfaire un appétit lascif, les détails des relations sexuelles s’étalent dans les colonnes des quotidiens. Pour distraire l’oisif, de vains ragots qui ne peuvent reposer que sur l’intrusion dans l’intimité, sont colportés à longueur de colonnes. L’intensité et la complexité de la vie, liées au progrès de la civilisation, ont rendu indispensable un certain retrait du monde et l’homme, raffiné par la culture, est devenu plus sensible à la publicité de sorte qu’il est maintenant plus essentiel pour l’individu de pouvoir s’isoler et d’avoir une vie privée ; cependant l’activité et l’inventivité modernes, en s’immisçant dans sa vie privée, lui ont infligé une souffrance et une détresse morales beaucoup plus grandes que n’aurait pu le faire la blessure physique à elle seule. Le dommage causé par de telles intrusions ne se limite pas à la souffrance de ceux qui ont fait l’objet de l’activité journalistique ou autre. En cela, comme dans les autres branches du commerce, l’offre crée la demande. Chaque moisson d’improbables ragots, ainsi engrangée, produit la graine pour la suite et engendre une dégradation constante des standards sociaux et moraux directement proportionnelle avec sa propagation. Même le commérage apparemment innocent, lorsqu’il est largement et constamment répandu est potentiellement maléfique. Il avilit et pervertit. Il avilit en inversant l’importance relative des choses, réduisant par là les pensées et les aspirations d’un peuple. Quand le commérage entre les personnes se hisse à la dignité de l’imprimé et occupe l’espace ouvert aux sujets d’intérêt réel pour la communauté, comment s’étonner que l’ignorant et le non critique se méprennent sur la relativité de son importance. D’un accès facile et présentant un attrait pour le côté faible de la nature humaine que n’abattent jamais totalement les malheurs et les fragilités du prochain, il n’est pas étonnant, qu’il capte à son profit l’attention de cerveaux aptes à autre chose. La trivialité détruit sur le champ la vigueur de la pensée et la délicatesse des sentiments. Nul enthousiasme ne peut s’épanouir, aucun instinct généreux ne peut survivre sous sa force d’aveuglement.

6. Notre objectif est de rechercher si le droit existant fournit un principe qui puisse être à juste titre invoqué pour protéger la vie privée de l’individu et, si c’est le cas, quelles sont la nature et l’étendue de la protection offerte.

7. Etant donné la nature des instruments qui sont utilisés pour s’introduire dans la vie privée, le préjudice infligé présente une vague ressemblance avec les dommages traités par le droit sur la calomnie et la diffamation, tandis qu’un remède juridique pour un tel préjudice semble impliquer que la demande de réparation pour des sentiments blessés puisse à elle seule constituer un motif suffisant pour agir. Le principe sur lequel repose le droit de la diffamation couvre cependant une classe d’effets totalement différents de ceux auxquels il est aujourd’hui demandé de s’intéresser. Il ne s’agit que de dommages causés à la réputation, de la blessure faite à l’individu dans ses relations extérieures au cœur de la communauté, en l’abaissant dans l’estime de ses concitoyens. Ce qui a été publié à son propos, quelle que soit l’étendue de la diffusion et quelle que soit l’inconvenance de la publication, doit, pour pouvoir faire l’objet d’une action, tendre directement à lui porter préjudice dans ses relations avec les autres et fût-ce par la voie de l’écrit ou de l’imprimé, l’exposer à la haine, au ridicule ou au mépris de ses concitoyens, l’effet de la publication sur son estime de soi et sur ses propres sentiments ne formant pas un élément essentiel dans l’intérêt pour agir. En bref, les délits et les droits corrélatifs reconnus par le droit sur la calomnie et la diffamation sont par nature matériels plutôt que mentaux. Cette branche du droit étend simplement la protection entourant la propriété physique à certaines conditions nécessaires ou utiles pour réussir sa vie dans le monde. Au contraire, notre droit ne reconnaît aucun principe selon lequel un dédommagement devrait être accordé dans le cas d’une simple blessure aux sentiments. Quelle que soit l’intensité de la souffrance morale générée sur une personne par l’action d’une autre et même si l’action ressortit de la négligence voire de la malveillance, si l’acte en lui-même est cependant par ailleurs légal, la douleur infligée est damnum absque injuria. L’atteinte aux sentiments doit bien sûr être prise en compte dans l’évaluation du dommage lors de l’examen de ce qui est reconnu comme un préjudice juridique [16] mais notre système, à la différence du droit romain, ne permet pas de recours, même au cas de souffrance morale résultant d’une simple injure ou insulte, pour atteinte intentionnelle ou gratuite à l’ « honneur » de l’autre. [17]

8. Il n’est pas nécessaire cependant pour soutenir la reconnaissance par la common law d’un principe applicable aux cas d’intrusion dans la vie privée, d’invoquer l’analogie, qui n’est que superficielle, avec les préjudices subis soit du fait d’une atteinte à la réputation, soit avec ce que les civilistes appellent une atteinte à l’honneur. En effet, les doctrines relatives aux infractions qui sont ordinairement appelées le droit de common law à la propriété intellectuelle et artistique ne sont, croit-on, que des exemples et des applications d’un droit général à la vie privée qui, correctement comprises, offrent un recours contre les maux envisagés.

9. La common law garantit à tout individu, le droit à déterminer, d’ordinaire, la mesure dans laquelle ses pensées, ses sentiments et ses émotions seront communiqués aux autres. [18] Dans notre système de gouvernement, il ne peut jamais être contraint de les exprimer (sauf s’il est appelé à témoigner devant la justice) ; et même s’il a choisi de les exprimer, il conserve en général le pouvoir de fixer les limites de la publicité qui leur sera donnée. L’existence de ce droit ne dépend pas de la méthode particulière d’expression adoptée. Que ce soit par le mot, [19] le signe, [20] la peinture, [21] la sculpture [22] ou la musique [23] n’a pas d’importance. L’existence du droit ne dépend pas non plus de la nature ou de la qualité de la pensée ou de l’émotion, ni de l’excellence du moyen d’expression. [24] La même protection est accordée à une lettre occasionnelle ou aux confidences consignées dans un journal intime, au poème ou à l’essai le plus précieux, au travail loupé ou au barbouillage et au chef-d’oeuvre. Dans tous les cas, l’individu est en droit de décider si ce qui est sien sera livré au public. [25] Personne n’a le droit de publier les productions de celui-ci sous quelque forme que ce soit sans son consentement. Ce droit est totalement indépendant du support sur lequel ou du moyen par lequel la pensée, le sentiment ou l’émotion est exprimé. Il peut exister indépendamment de tout support matériel dans le cas des mots parlés, de la chanson chantée, du drame joué. Ou, s’il est exprimé sur un support, tel un poème écrit, l’auteur peut s’être séparé du papier sans avoir perdu son droit de propriété sur la composition elle-même. Le droit n’est perdu que quand l’auteur lui-même communique sa production au public – en d’autres termes le publie. Ceci vaut dans une indépendance totale par rapport aux droits d’auteurs et à leur extension dans le domaine de l’art. Le but de ces lois est de garantir à l’auteur, au compositeur ou à l’artiste, l’intégralité des profits provenant de la publication ; mais la protection de la common law lui permet de contrôler de façon absolue l’acte de publication, laisse à sa discrétion de décider s’il y aura ou non une quelconque publication. [26] Le droit accordé par la loi n’a aucune valeur à moins qu’il n’y ait publication, le droit de la common law est perdu dès lors qu’il y a une publication.

10. Quelle est la nature, la base de ce droit d’empêcher la publication des manuscrits ou des œuvres d’art ? Il est présenté comme l’application d’un droit de propriété ; [27]et il n’y a aucune difficulté à accepter ce point de vue tant qu’il s’agit de la reproduction de compositions littéraires et artistiques. Il est certain qu’elles possèdent nombre des attributs de la propriété ordinaire : elles sont transférables, elles ont une valeur et la publication ou la reproduction est une utilisation par laquelle cette valeur se matérialise. Cependant là où la valeur de la production ne se trouve pas dans le droit de faire des profits issus de la publication mais dans la tranquillité d’esprit ou le soulagement offerts par la capacité à empêcher toute publication, il est difficile de considérer le droit comme étant un droit de propriété, au sens commun du terme. Un homme consigne dans une lettre à son fils ou dans son journal intime qu’il n’a pas dîné avec son épouse un certain jour. Aucune personne dans les mains de laquelle tombe ces papiers ne pourrait les publier dans le monde, même si elle est entrée en possession de ces documents légalement ; et l’interdiction ne se limite pas à la publication d’une copie de la lettre ou de la page du journal intime en soi, la limitation couvre aussi la publication de sa teneur. Quelle est la chose protégée ? Certainement pas l’acte intellectuel de consigner le fait que le mari n’a pas dîné avec son épouse mais le fait lui-même. Ce n’est pas le produit intellectuel mais l’événement domestique. Un homme écrit une douzaine de lettres à différentes personnes. Nul n’aurait le droit de publier une liste des lettres écrites. Si les lettres et le contenu du journal intime étaient protégés en tant que compositions littéraires, l’étendue de la protection accordée devrait être identique à celle garantie pour un écrit publié dans le cadre du droit d’auteur. Mais le droit du droit d’auteur n’empêcherait pas l’énumération des lettres et la publication de certains des faits qui en font la teneur. Les droits d’auteur sur une série de peintures ou de gravures empêcheraient une reproduction des peintures sous forme d’images ; mais ils ne s’opposeraient pas à ce qu’une liste en soit publiée ou même à ce qu’une description en soi donnée. [28] Cependant, dans la célèbre affaire Prince Albert v. Strange, la Cour a considéré que la règle de common law interdisait non seulement la reproduction des estampes que le demandeur et la reine Victoria avaient fait pour leur plaisir personnel mais aussi « la publication (tout au moins par l’imprimé ou l’écrit), bien que ce ne soit pas par copie ou par ressemblance, d’une description de celles-ci, qu’elle soit plus ou moins limitée ou sommaire, sous la forme de catalogue ou autrement. [29] De même, une collection non publiée d’informations qui ne possède aucun caractère de nature littéraire est protégée de la piraterie. [30]

11. Que cette protection ne puisse s’appuyer sur le droit à la propriété littéraire et artistique en aucun sens exact du terme, apparaît tout à fait clairement quand l’objet pour lequel la protection est invoquée n’a pas même la forme de propriété intellectuelle mais a les attributs de la propriété tangible ordinaire. Supposons un homme qui a une grande collection de pierres précieuses ou de curiosités qu’il garde secrète : on prétendrait difficilement qu’une autre personne pourrait en publier un catalogue et cependant les articles énumérés ne relèvent certainement pas de la propriété intellectuelle au sens juridique, par plus qu’une collection de poêles de chauffage ou de chaises. [31]

12. La croyance qui veut que l’idée de propriété au sens étroit ait été à la base de la protection des manuscrits non publiés a conduit une cour très compétente à refuser, dans de nombreux cas, des injonctions contre la publication de correspondances privées au motif que « les lettres ne possédant pas les attributs d’une composition littéraire ne constituent pas une propriété en droit d’être protégée ; « et qu’il était évident que le demandeur ne pouvait pas avoir considéré les lettres comme d’une valeur quelconque en tant que productions littéraires parce qu’une lettre ne peut pas être envisagée comme de valeur pour son auteur alors qu’il ne consentirait jamais à ce qu’elle soit publiée. [32] Mais ces décisions n’ont pas été suivies [33] et on peut maintenant considérer comme établi que la protection offerte par la common law à l’auteur de tout écrit est totalement indépendante de sa valeur marchande, de ses mérites intrinsèques ou de toute intention de le publier et, bien sûr, aussi, parfaitement indépendante du matériau, s’il en est, sur lequel ou du mode selon lequel, la pensée ou le sentiment a été exprimé.

13. Bien que les cours aient affirmé qu’elles fondaient leurs décisions sur les bases étroites de la protection de la propriété, il existe cependant des reconnaissances d’une doctrine plus libérale. Ainsi tant l’opinion du Vice Chancelier que celle du Lord Chancelier en appel font preuve d’une perception plus ou moins bien définie d’un principe plus large que ceux qui ont été principalement discutés et sur lesquels ils se sont surtout appuyés. Le Vice Chancelier Knight Bruce a fait référence à la publication de ce qu’un homme a « écrit à des personnes particulières ou sur sujets particuliers » comme un cas possible de divulgation préjudiciable concernant des choses privées à laquelle les cours s’opposeraient le cas échéant ; cependant il est difficile de percevoir comment et pourquoi, dans un tel cas, un quelconque droit de propriété au sens strict, pourrait être en question ou pourquoi, si une telle publication était interdite lorsqu’elle menacerait d’exposer la victime pas seulement au sarcasme mais à la ruine, elle ne devrait pas l’être aussi lorsqu’elle menacerait de lui rendre la vie difficile. Priver un homme de profits potentiels, susceptibles d’être réalisés en publiant un catalogue de ses joyaux, ne peut pas en soi un mal qui lui est fait. La possibilité de profits à venir n’est pas un droit de propriété que le droit reconnaît habituellement ; ce doit en conséquence être la violation d’autres droits qui constitue l’acte délictueux et la violation est tout autant délictueuse qu’elle résulte dans la perte de profits que l’individu pourrait lui-même obtenir, en donnant au sujet une publication qui lui soit odieuse, soit qu’elle aboutisse à obtenir un avantage au prix d’une souffrance psychique ou morale pour lui. Si la fiction de la propriété en un sens étroit doit être conservée, il est encore vrai que le but réalisé par le commérage est atteint en utilisant ce qui appartient à quelqu’un d’autre, les faits relatant sa vie privée qu’il a jugé bon de garder pour soi. Lord Cottenham a posé qu’un homme « a droit à être protégé dans l’usage exclusif et la jouissance de ce qui est exclusivement sien » et il a cité en l’approuvant l’opinion de Lord Eldon, telle que rapportée dans une note manuscrite au cas Wyatt v. Wilson en 1820, à propos d’une gravure de George III pendant sa maladie, disant que si l’un des médecins du roi défunt avait conservé un journal de ce qu’il avait vu et entendu, la cour ne lui aurait pas permis, du temps du roi, de l’imprimer et de le publier » ; et Lord Cottenham déclarait, à propos des actes des défendeurs dans le cas qui lui était soumis, que « le droit auquel il a été porté atteinte est le droit à la vie privée. » Mais une fois le droit à la vie privée reconnu comme un droit qui doit être juridiquement protégé, l’interposition des cours ne peut pas dépendre de la nature particulière du dommage qui résulte de sa violation.

14. Ces considérations conduisent à la conclusion que la protection accordée aux pensées, sentiments et émotions exprimés au moyen de l’écriture ou des arts, dans la mesure où elle consiste à en empêcher la publication, n’est qu’un cas d’application d’un droit plus général de l’individu à ce qu’on le laisse tranquille. C’est un droit semblable au droit à ne pas être agressé ou battu, au droit à ne pas être emprisonné, au droit à ne pas être poursuivi avec une intention criminelle, au droit à ne pas être diffamé. Est inhérente à tous ces droits, comme à tous les autres droits reconnus par le droit d’ailleurs, la qualité de faire l’objet d’une possession ou d’une propriété et (comme cela est l’attribut distinctif de la propriété) il peut être approprié dans un sens de parler de ces droits comme d’une propriété. Néanmoins, il est évident qu’ils présentent peu de ressemblance avec ce qui est ordinairement entendu par ce terme. Le principe qui protège les écrits personnels et les autres productions personnelles contre toute forme de publication, non contre le vol et l’appropriation physique mais contre la publication sous quelque forme que ce soit, n’est pas en réalité le principe de la propriété privée mais celui de l’inviolabilité de la personnalité. [34]

15. Si notre conclusion est correcte, le droit existant offre un principe qui peut être invoqué pour protéger la vie privée de l’individu contre l’intrusion soit d’une presse trop entreprenante, le photographe, soit du possesseur de tout autre procédé moderne d’enregistrement ou de reproduction de scènes ou de sons. En effet, la protection fournie n’est pas restreinte par les autorités aux cas où un certain média ou une forme particulière d’expression a été adopté, ni aux produits de l’intellect. La même protection est accordée aux émotions et aux sensations exprimées dans une composition musicale ou une autre œuvre d’art que lorsqu’il s’agit d’une composition littéraire ; et les mots prononcés, la pantomime jouée, la sonate exécutée n’a pas moins droit à la protection que si, dans chaque cas, ils avaient été réduits à l’écriture. La circonstance qu’une pensée ou une émotion ait été enregistrée dans une forme permanente rend son identification plus facile et, dès lors, peut être importante du point de vue de la preuve mais elle ne change rien du point de vue du droit au fond. Si donc, les décisions indiquent un droit général à la vie privée en ce qui concerne les pensées, les émotions et les sensations, celles-ci doivent recevoir la même protection qu’elles soient exprimées par l’écrit, par la conduite, dans la conversation, dans les attitudes ou par le visage.

16. On peut plaider en faveur de l’établissement d’une distinction entre l’expression délibérée des pensées et des émotions dans des compositions littéraires ou artistiques et l’expression occasionnelle et souvent involontaire qui en est donnée dans la conduite de la vie ordinaire. En d’autres termes, on peut prétendre que la protection fournie est accordée aux fruits conscients du travail, peut-être en tant qu’encouragement à l’effort. [35] Cette affirmation, bien que plausible, n’est cependant guère soutenable. Si le volume de travail impliqué était adopté comme test, nous pourrions très bien découvrir que l’effort pour se bien comporter dans les affaires et dans les relations domestiques avait été beaucoup plus grand que celui requis par la peinture d’un tableau ou l’écriture d’un livre ; nous pourrions nous rendre compte qu’il est de loin plus facile d’exprimer des sentiments élevés dans son journal intime que par la conduite d’une vie noble. Si le test du caractère réfléchi de l’acte était adopté, toute une correspondance occasionnelle qui bénéficie aujourd’hui d’une totale protection serait exclue du champ bénéfique des règles existantes. Après les décisions refusant la distinction tentée entre les productions qui avaient été destinées à être publiées et celles qui ne l’étaient pas, toutes les considérations portant sur le volume de travail impliqué, le degré de délibération, la valeur du produit et l’intention de publier doivent être abandonnées et aucune base n’apparaît qui puisse servir de fondement au droit de restreindre la publication et la reproduction de telles œuvres littéraires et artistiques, si ce n’est le droit à la vie privée, en tant qu’il fait partie d’un droit plus général à l’intégrité personnelle, le droit à la personnalité.

17. Il faut dire que, dans certains cas où la protection a été accordée contre une publication fautive, le pouvoir de juger a été affirmé non pas sur la base de la propriété ou tout au moins pas entièrement sur ce fondement mais sur la base d’une violation alléguée d’un contrat implicite, de la confiance ou du secret.

18. Ainsi, dans Abernethy v. Hutcheson (in L. J. Ch., Vol.3, 1825, p.209 et suiv.) où le demandeur, un éminent chirurgien, cherchait à interdire la publication dans le « Lancet  » de conférences non publiées qu’il avait données à l’Hôpital St. Bartholomew’s de Londres, Lord Eldon doutait qu’il puisse y avoir propriété sur des conférences qui n’avaient pas été mises par écrit mais il accorda l’injonction sur le fondement d’une violation de confiance, soutenant « que lorsqu’il avait été permis à des personnes, élèves ou autres, d’entendre ces conférences, bien qu’elles soient données oralement, et bien que les parties aient été autorisées dans une certaine mesure, si elles le pouvaient, à coucher sur le papier le tout en sténographie, elles ne pouvaient le faire que dans le but de leur propre information et ne pouvaient pas publier à leur profit, ce pourquoi elles n’avaient pas obtenu le droit de vendre. »

19. Dans Prince Albert v. Strange (in McN. & G., Vol.1, 1849, p.25), Lord Cottenham, en appel, tout en reconnaissant un droit de propriété sur les estampes qui, en lui-même, aurait justifié la délivrance de l’injonction, affirmait, après avoir discuté les preuves, qu’il était conduit à supposer que la possession des gravures par le défendeur trouvait « son origine dans une trahison du mandat, de la confiance et du contrat » (« beach of trust, confidence and contract ») et que sur une telle base également le titre du demandeur à une injonction était pleinement établi.

20. Dans Tuck v. Priester (in Q. B. D., Vol.19, 1887, p.639 et suiv.), les demandeurs étaient propriétaires d’un tableau et avaient employé le défendeur pour en faire un certain nombre de copies. Il l’avait fait et il avait également réalisé un nombre d’autres copies pour lui-même et les avaient offertes à la vente, en Angleterre, à un prix inférieur. Par la suite, les demandeurs avaient fait enregistrer leurs droits d’auteur sur le tableau et, de façon subséquente, avaient cherché en justice une injonction et des dommages et intérêts. Les Lords Juges s’étaient divisés sur l’application des lois sur les droits d’auteur dans ce cas mais ils avaient unanimement soutenu que, indépendamment de ces lois, les demandeurs avaient droit à une injonction et à des dommages et intérêts pour violation du contrat.

21. Dans Pollard v. Photographic Co. (in Ch. Div., Vol.40, 1888, p.345 et suiv.), le photographe qui avait pris la photographie d’une femme dans les conditions ordinaires se voyait interdire de l’exposer et d’en vendre des copies sur le fondement qu’il avait violé les termes implicites du contrat et aussi que c’était une trahison de la confiance. M. le juge North avait interposé dans l’argumentation du conseil de la demanderesse la question : « Discutez-vous que si la ressemblance en négatif avait été prise à la dérobée, son réalisateur pourrait exposer les copies ? » et le conseil avait répondu : « Dans un tel cas, il ne serait question ni de confiance, ni de violation d’un contrat. » Par la suite, le conseil du défendeur soutint que personne n’avait la propriété sur ses propres traits ; à moins de faire quelque chose de diffamatoire ou d’autrement illégal, il n’y a aucune restriction à l’usage par le photographe de son négatif. Mais la Cour, tout en trouvant explicitement une violation de contrat et une trahison de la confiance suffisante pour justifier son interposition, semble encore avoir ressenti la nécessité de faire reposer sa décision également sur un droit de propriété, [36] de façon à la mettre dans la lignée des cas qui étaient présentés comme précédents. [37]

22. Ce procédé d’implication d’une condition dans un contrat ou d’implication d’une relation de confiance (en particulier lorsque le contrat est écrit et où il n’y a pas d’usage ou de coutume établie, n’est rien de plus, ni de moins qu’une déclaration judiciaire que la morale publique, la justice privée (« private property ») [N. d. t. : la traduction « justice privée » n’est pas pleinement satisfaisante en raison de certaines connotations mais les autres candidatures rencontrées : justice simple (comme simple citoyen) ou justice toute pure ou encore justice élémentaire risqueraient d’introduire encore plus de perspectives absentes et d’éloigner de la notion de base] et la convenance générale exigent la reconnaissance d’une telle règle et que la publication dans de telles circonstances serait considérée comme un abus intolérable. Tant que ces circonstances produisent un contrat sur lequel une condition doit être greffée par l’esprit du juge ou fournissent des relations sur lesquelles une confiance ou un mandat peuvent être érigés, il ne peut pas y avoir objection à la confection de la protection désirée au moyen des doctrines du contrat ou de la confiance. Mais la cour peut difficilement s’arrêter là. La doctrine étroite peut avoir satisfait aux exigences de la société à un moment où l’abus, contre lequel il fallait se prémunir, serait rarement intervenu sans qu’il y ait eu violation de contrat ou trahison de confiance particulière ; mais maintenant que les moyens modernes offrent de multiples occasions de perpétrer de tels dommages sans participation quelconque de la partie lésée, la protection accordée par le droit doit se fonder sur une base plus large. Aussi longtemps, par exemple, que l’état de l’art photographique était tel que son image pouvait rarement être prise sans que l’on se soit consciemment « assis » dans ce but, le droit des contrats et de la confiance pouvait offrir à l’homme prudent des garanties suffisantes contre la circulation impropre de son portrait ; mais dès lors que les avancées les plus récentes dans l’art de la photographie ont rendu possible la prise de photographies à l’insu de la personne photographiée, les doctrines du contrat et de la confiance sont devenues inadéquates comme support à la protection requise et la responsabilité civile doit entrer en jeu. Le droit de propriété au sens large, couvrant toutes les possessions, y compris tous les droits et privilèges et dès lors embrassant le droit à une personnalité inviolée, est le seul à fournir la base sur laquelle la protection que l’individu demande, peut reposer.

23. Ainsi, les cours, en cherchant un principe sur lequel la publication des lettres privées pouvait être interdite, sont naturellement tombées sur les idées de trahison de la confiance et de contrat tacite ; mais il suffisait d’un peu de réflexion pour comprendre que cette doctrine ne pouvait pas suffire pour offrir toute la protection nécessaire, dès lors qu’elle ne permettrait pas à la cour d’accorder un recours contre un étranger ; et c’est ainsi que la théorie de la propriété sur le contenu des lettres a été adoptée. [38] En réalité, il est difficile de concevoir sur quelle théorie du droit le récepteur occasionnel d’une lettre, qui la publie, est responsable d’une rupture de contrat, exprès ou tacite, ou d’une trahison de confiance dans l’acception ordinaire de ce terme. Supposons qu’une lettre lui ait été adressée sans qu’il l’ait sollicitée. Il l’ouvre et la lit. Il est certain qu’il n’a passé aucun contrat ; il n’a pas accepté une quelconque confiance. Il ne peut pas, par l’ouverture et la lecture de la lettre, avoir contracté aucune obligation, si ce n’est ce que le droit déclare ; et, quelle que soit la manière de l’exprimer cette obligation est simplement celle de respecter le droit juridique de l’envoyeur quel que puisse être ce droit et qu’il s’appelle son droit de propriété sur le contenu de la lettre ou son droit à la vie privée. [39]

24. Une recherche similaire pour le principe sur lequel une publication fautive peut-être interdite se retrouve dans le droit des secrets de fabrication. En ce domaine, les injonctions ont été en général accordées sur la base de la théorie de la violation de contrat ou d’un abus de confiance. [40] Il arriverait, rarement, bien sûr, que quelqu’un soit en possession d’un secret à moins qu’on ne lui ait fait confiance. Cependant, peut-on imaginer que la cour hésiterait à reconnaître un recours contre celui qui se serait procuré les connaissances au moyen d’une intrusion banale – par exemple, en consultant illégalement un livre dans lequel le secret a été mis par écrit ou en écoutant aux portes ? Dans Yovatt v. Winyhard (in J. & W., Vol.1, 1820) où une injonction a été délivrée contre l’usage ou la communication de certaines recettes de médecine vétérinaire, il apparaît bien que le défendeur, alors qu’il était au service du demandeur, a subrepticement eu accès au livre de recettes et les a copiées. Lord Eldon « a accordé l’injonction sur le fondement qu’il y avait eu une trahison du mandat et de la confiance (« trust and confidence ») ; mais il paraît difficile d’établir une distinction juridique solide entre un tel cas et un autre où un simple étranger a obtenu illégalement accès au livre. [41]

25. Nous devons donc conclure que les droits ainsi protégés quelle que soit leur nature exacte ne sont pas des droits qui naissent du contrat ou d’une confiance spéciale mais que ce sont des droits contre tous ; et, comme indiqué plus haut, le principe qui a été appliqué pour protéger ces droits n’est pas en réalité le principe de la propriété privée, sauf à prendre cette expression dans un sens élargi et inhabituel. Le principe qui protège les écrits personnels et toute autre production de l’esprit ou des émotions est le droit à la vie privée et le droit n’a pas de nouveau principe à formuler quand il étend cette protection à l’apparence personnelle, aux dires, aux actes et aux relations – domestiques ou autres. [42]

26. Si une intrusion dans la vie privée constitue un préjudice (« injuria ») juridique, les éléments pour demander réparation existent dès lors que déjà la valeur de la souffrance morale, causée par un acte préjudiciable en lui-même, est reconnue comme entrant dans le calcul des dommages et intérêts.

27. Le droit de quelqu’un qui est resté une personne privée (« private individual  ») à empêcher la circulation de son portait dans le public représente le cas le plus simple pour une telle extension, le droit de se protéger contre les portraits crayonnés, contre une discussion dans la presse de ses affaires privées serait une question d’une importance et d’une portée plus grandes. Si les assertions occasionnelles et insignifiantes dans une lettre, si l’œuvre de ses mains, quelle qu’inesthétique et sans valeur qu’elle soit, si les possessions de toutes sortes sont protégées non seulement contre la reproduction mais contre la description et l’énumération, combien plus devraient l’être les actes et les dires d’un homme dans ses relations sociales et domestiques contre une publicité débridée. Si vous ne pouvez pas reproduire le visage d’une femme sur une photographie sans son consentement, combien moins doit être tolérée la reproduction de son visage, de ses formes et de ses actions par des descriptions graphiques, colorées pour satisfaire une imagination vulgaire et dépravée.

28. Le droit à la vie privée, limité comme doit nécessairement l’être un tel droit, a aussi trouvé expression dans le droit français. [43]

29. Il reste à envisager quelles sont les limites de ce droit à la vie privée et quels recours peuvent être accordés pour l’application de ce droit. Déterminer avant expérience le tracé exact de la ligne où la dignité et la convenance de l’individu doivent céder le pas aux exigences du bien-être public et de la justice privée serait une tâche difficile, mais les règles les plus générales sont fournies par les analogies juridiques déjà développées dans le droit de la calomnie et de la diffamation et dans le droit de la propriété littéraire et artistique.

30. Le droit a la vie privée n’interdit pas la publication de ce qui est d’intérêt public ou d’intérêt général.

31. Dans la fixation de la portée de cette règle, une aide pourrait être fournie par l’analogie en droit de la diffamation et de la calomnie, avec les cas qui traitent du privilège restreint du commentaire et de la critique sur les sujets d’intérêt public général. [44] Il a a bien sûr des difficultés pour appliquer une telle règle ; mais elles sont inhérentes au sujet et ne sont certainement pas plus grandes que celles qui existent dans de nombreux autres branches du droit – par exemple, dans cette vaste classe de cas où le caractère raisonnable ou non d’un acte sert de test en matière de responsabilité. Le but du droit doit être de protéger les personnes aux affaires desquelles la communauté n’a aucun motif légitime à s’intéresser, contre le risque d’être traînées dans une publicité indésirable et non désirée et de protéger toutes les personnes quels que soient leur position et leur statut, d’avoir des choses qu’elles peuvent préférer garder secrètes, rendues publiques contre leur volonté. C’est l’intrusion dans la vie privée de l’individu qui est répréhensible et qui doit être, autant qu’il est possible, empêchée. La distinction mentionnée dans l’affirmation ci-dessus, cependant, est évidente et fondamentale. Il y a des personnes qui peuvent raisonnablement revendiquer comme droit, la protection contre la notoriété impliquée par le fait d’être les victimes de l’entreprise journalistique. Il y en a d’autres qui, à des degrés variés, ont renoncé au droit de vivre leur vie à l’abri du regard public. Des questions que les hommes de la première catégorie peuvent à juste titre prétendre ne concerner qu’eux-mêmes peuvent, pour ceux de la seconde, faire l’objet d’un intérêt légitime de la part de leurs concitoyens. Les particularités de manière et de personne qui, s’agissant de l’individu ordinaire, n’appelleraient pas de commentaires, peuvent acquérir une importance publique, si elles se trouvent chez un candidat à une fonction politique. Il est donc nécessaire d’introduire une distinction supplémentaire et de ne pas se contenter de classer les faits et les actes entre public et privé selon un standard à appliquer au fait ou à l’acte en soi. Publier à propos d’un individu modeste et retiré qu’il souffre d’un handicap dans sa manière de parler ou qu’il ne sait pas écrire correctement est une atteinte injustifiée, si elle n’est pas sans exemple, à ses droits, alors que l’affirmation et le commentaire des mêmes caractéristiques découvertes chez un aspirant à siéger au Congrès ne pourraient pas être considérés comme dépassant les limites.

32. L’objet général recherché est de protéger la vie privée et quel que soit le degré ou le rapport sous lequel la vie d’un homme a cessé d’être privée avant que la publication considérée ait été faite, la protection doit être levée dans cette mesure. [45] Dès lors donc que le caractère convenable ou non de la publication des mêmes faits peut dépendre totalement de la personne à propos de laquelle ils sont publiés, aucune formule rigide ne peut être utilisée pour l’interdiction des publications odieuses. Toute règle de responsabilité adaptée doit posséder une élasticité qui permette de prendre en compte des variations de circonstances selon les cas – une nécessité qui rend malheureusement une telle doctrine non seulement plus difficile à appliquer mais aussi, dans une certaine mesure, floue et fragile dans son fonctionnement. En outre, ce ne sont que les atteintes les plus flagrantes à la décence et à la convenance qui, en pratique, seraient sanctionnées et il n’est peut-être pas même désirable de tenter d’aller jusqu’à réprimer tout ce que le goût le plus exquis et le sentiment le plus aigu du respect dû à la vie privée condamnerait.

33. En général, donc, les sujets dont la publication serait réprimés peuvent être décrits comme ceux concernant la vie privée, les habitudes, les actes et les relations d’un individu qui sont sans lien légitime avec son aptitude à occuper une fonction publique ou quasi-publique qu’il recherche ou pour laquelle il a été pressenti et qui sont sans relation légitime avec un acte fait par lui dans l’exercice d’une fonction publique ou quasi-publique ou n’ont aucune portée sur un tel acte fait par lui. Ce qui vient d’être dit ne prétend pas être une définition tout à fait exacte et exhaustive, dès lors que ce qui, dans un grand nombre de cas, doit devenir, en définitive, une question de jugement et d’opinion individuels, ne peut pas faire l’objet d’une telle définition ; mais c’est un essai d’indication approximative de la classe de questions concernées. Il est des choses que tous les hommes sont identiquement en droit de cacher à la curiosité populaire, qu’ils soient ou non engagés dans la vie publique, alors qu’il en est qui sont privées seulement parce que les personnes en question n’ont pas exercé des fonctions qui transforment leurs activités en objet légitime de curiosité publique. [46]

34. Le droit à la vie privée n’interdit pas la communication de quoi que ce soit, qui, par sa nature, est de l’ordre du privé, dès lors que la publication est faite dans des circonstances qui en font une communication privilégiée dans le droit de la calomnie et de la diffamation.

35. Selon cette règle, il n’y a pas eu atteinte au droit à la vie privée par la divulgation faite devant une cour de justice, dans les assemblées législatives ou devant leurs commissions, dans les assemblées municipales ou les commissions de telles assemblées ou pratiquement par toute communication faite devant tout autre organisme public, municipal ou local, ou devant tout organisme quasi-public, comme les grandes associations volontaires formées pour à peu près n’importe quel but de bienfaisance, d’affaires ou d’intérêt général autre ; et (au moins dans nombre d’instances) les comptes rendus de telles réunions bénéficieront, dans une certaine mesure, d’un tel privilège. [47] La règle n’interdirait pas non plus une divulgation faite par quelqu’un dans le cadre d’un devoir public ou privé, qu’il soit de nature juridique ou morale, ou dans la conduite de ses propres affaires, sur les questions où son intérêt est concerné. [48]

36. Le droit n’accorderait probablement pas une réparation pour violation de la vie privée par divulgation orale en l’absence de dommage spécial.

37. La même raison existe pour faire la distinction entre divulgations orales et écrites de choses privées que, dans le cadre du droit de la diffamation, avec la responsabilité restreinte pour la diffamation verbale (« slander  ») comparée à la responsabilité pour la diffamation par écrit (« libel »). Le dommage causé par de telles communications orales serait en général si léger qu’il serait possible pour le droit, sous couvert de l’intérêt à la liberté d’expression, de ne pas intervenir. [49]

38. Le droit a la vie privée cesse lors de la divulgation des actes par l’individu ou avec son consentement.

39. Ce n’est qu’une autre application de la règle qui est devenue familière dans le droit de la propriété littéraire et artistique. Les cas décidés ici établissent aussi ce qui doit être considéré comme une publication – le principe important sur ce point étant qu’une circulation privée dans un but restreint n’est pas une publication au sens de la loi. [50]

40. La vérité de la chose publiée ne fournit pas une défense.

41. Il est évident que cette branche du droit ne doit pas s’intéresser à la vérité ou à la fausseté de ce qui fait l’objet de la publication. Ce n’est pas pour un préjudice au caractère de l’individu que la réparation ou l’interdiction préventive est recherchée mais pour l’atteinte au droit à la vie privée. Dans le premier cas, le droit contre la calomnie fournit peut être une garantie suffisante. Le second n’implique pas seulement d’empêcher une représentation inexacte de la vie privée mais d’empêcher qu’elle soit décrite purement et simplement. [51]

42. L’absence de malveillance ne constitue pas une défense.

43. La volonté personnelle de nuire n’est pas un élément constitutif de l’infraction, pas plus que dans un cas ordinaire d’atteinte à la personne ou à la propriété. Une telle intention malveillante n’a jamais à être démontrée dans une action en diffamation ou pour calomnie en common law, si ce n’est en réponse à une défense, par exemple, que l’occasion a rendu la communication privilégiée, ou, selon les lois de cet Etat ou d’ailleurs, que la déclaration qui fait l’objet du recours était vraie. L’intrusion dans la vie privée contre laquelle protège le droit à la vie privée est tout autant complètement réalisée et constitue la même infraction que les motifs qui ont poussé l’auteur des propos parlés ou écrits aient été en eux-mêmes coupables ou non au regard du droit ; tout comme l’atteinte au personnage (« character ») et, dans une certaine mesure, la tendance à provoquer une atteinte à la paix résultent de manière identique de la diffamation quels que soient les motifs qui ont conduit à sa publication. Du point de vue du tort fait à l’individu, c’est la même règle qui court à travers tout le droit de la responsabilité, par elle on est tenu responsable pour ses actes entrepris délibérément, même s’ils ont été commis sans mauvais intention ; et du point de vue du tort fait à la société, c’est un même principe qui régit une vaste catégorie d’infractions prévues par la loi.

44. Les recours contre une violation du droit à la vie privée sont suggérés également par ceux offerts dans le droit de la diffamation et dans le droit de la propriété littéraire et artistique, à savoir :
une action en responsabilité pour dommage dans tous les cas. [52] Même en l’absence de dommages spéciaux, une compensation substantielle pourrait être offerte pour atteinte aux sentiments comme dans l’action pour calomnie ou diffamation ;
une injonction, dans peut-être une classe de cas très limitée. [53]
- Il serait sans aucun doute désirable que la vie privée de l’individu puisse recevoir la protection additionnelle du droit pénal mais pour cela l’intervention du législateur serait nécessaire. [54] Il est possible qu’on en arrive à juger approprié de faire jouer la responsabilité pénale pour une telle diffusion à l’intérieur de limites étroites ; mais que la communauté ait un intérêt à prévenir de telles violations du droit à la vie privée, qui soit suffisamment fort pour justifier l’introduction d’un recours contre elles, ne peut pas faire de doute. En outre, la protection de la société doit provenir principalement d’une reconnaissance des droits de l’individu. Tout homme est responsable de ses actes et de ses abstentions uniquement. S’il permet ce qu’il réprouve, alors qu’il a une arme adaptée à sa défense à portée de main, il est responsable des résultats. S’il résiste, l’opinion publique se ralliera à sa cause. Dispose-t-il alors d’une telle arme ? La common law est considérée lui en fournir une, forgée au feu lent des siècles et aujourd’hui convenablement façonnée pour sa main. La common law a toujours reconnu la maison d’un homme comme son château, imprenable, souvent même pour ses propres agents, chargés d’exécuter ses ordres. Les cours vont-elles ainsi fermer la porte de devant à l’autorité constituée et, dans le même temps, ouvrir grande la porte de derrière à une curiosité oisive et malsaine ?

Notes

[1] Françoise Michaut est directrice de recherche au CNRS (UMR 7074 - Centre de théorie et analyse du droit).

[2] Source : Samuel D. Warren and Louis D. Brandeis « The Right to Privacy », in Harvard Law Review, Vol. IV, 1890, p.193-220. La numérotation des paragraphes est réalisée par Clio@Thémis ; elle ne figure par dans le texte original

[3] Year Book, Lib. Ass., folio 99, pl.60 (p.1348 ou 49) apparaît comme le premier cas rapporté de dommages et intérêts attribués du fait d’une attaque civile.

[4] Ces nuisances sont techniquement des atteintes à la propriété mais la reconnaissance d’un droit à ce que de telles nuisances ne viennent pas perturber la propriété implique aussi une reconnaissance de la valeur des sensations humaines.

[5] Year Book, Lib. Ass., folio 177, pl.19, p.1356 (Finl. Reeves Eng. Law, Vol.2, p.395) semble être le premier cas rapporté d’une action en matière de calomnie.

[6] Winsmore v. Greenbank, in Willes, 1745, p.577 et suiv.

[7] La perte de service est le motif principal de l’action mais on a dit que « nous n’avons pas connaissance d’un seul cas soumis par un parent où la valeur de tels services était tenue pour être la mesure des dommages. » (Le juge Cassoday, Lavery v. Crooke, in Wisconsin, Vol.52, 1881, p.612 et suiv., à p.623). Tout d’abord la fiction du service implicite a été inventée ; Martin v. Payne, in John., Vol.9, 1812, p.387. Puis les sentiments du parent, le déshonneur pour lui et pour sa famille ont été acceptés comme l’élément le plus important du dommage. Bedford v. McKowl, in Esp., Vol.3, 1800, p.119 et suiv. ; Andrews v. Askey, in C. & I., Vol.8, 1837, p.7 et suiv. ; Phillips v. Hoyle, in Gray, Vol.4, 1855, p.568 et suiv. ; Phelin v. Kenderdine, in Pa. St., Vol.20, 1853, p.354 et suiv. L’attribution de ces dommages et intérêts semblerait être une reconnaissance que l’atteinte à l’honneur de la famille est une blessure à la personne du parent, parce que d’ordinaire la simple blessure aux sentiments des parents n’est pas un élément du dommage, par exemple, la souffrance du parent en cas de dommage corporel à l’enfant. Flemington v. Smithers, in C. & P., Vol.2, 1827 ; Black v. Carrolton R. R. Co., in La. Ann., Vol.10, 1855, p.33 et suiv. ; Covington Street Ry. Co. v. Packer, in Bush, Vol.9, 1872, p.455 et suiv.

[8] « La notion du juge Yates que rien n’est propriété qui ne puisse être marqué et faire l’objet d’une restitution ou d’une réappropriation peut être vraie dans les premiers âges d’une société, quand la propriété est dans sa forme élémentaire et les recours contre les atteintes à celle-ci sont également simples mais ce n’est pas vrai dans un Etat civilisé, lorsque les relations de vie et les intérêts qui y ont leurs sources sont complexes. » Le juge Erle, Jefferys v. Boosey, in H. L. C., Vol.4, 1854, p.815 et suiv., à p.869.

[9] Le droit d’auteur semble avoir été reconnu pour la première fois comme type de propriété privée en Angleterre en 1558. Drone on Copyright, p.54, 61.

[10] Gibblett v. Read, in Mod., Vol.9, 1743, p.459 et suiv. est probablement la première reconnaissance de la propriété d’une clientèle.

[11] Hogg v. Kirby, in Ves., Vol.8, 1803, p.215 et suiv. Encore en 1742 Lord Hardwicke refusait de traiter la marque comme une propriété pouvant faire l’objet d’une injonction en cas de violation. Blanchard v. Hill, in Atk, Vol.2, p.484.

[12] Goley on Torts, 2nd ed., p.29.

[13] American Legal Register, Vol.8, 1869, n. s. i ; Washington Law Rep., 1884, p.353 et suiv. ; Sol. J. & Rep., 1879, p.4 et suiv.

[14] Scribner’s Magazine, July 1890, « The Rights of the Citizen : To his Reputation » par E. L. Godkin, p.65 et suiv., à p.67.

[15] Marion Manola v. Stevens & Myers, New York Supreme Court, in New York Times, June 15, 18, 21, 1890. Dans ce cas, la plainte portait sur le fait que la demanderesse, alors qu’elle jouait, au théâtre de Broadway, dans un rôle qui requérait d’elle qu’elle apparaisse en maillot, avait été photographiée, au moyen d’un flash, de façon subreptice et sans son consentement, d’une des loges par le défendeur Stevens, directeur de la compagnie « Castle in the Air », et le défendeur Myers, photographe, et la demande était qu’il soit fait interdiction aux défendeurs d’utiliser la photo prise. Une injonction préliminaire avait été prononcée ex parte et une date avait été fixée pour l’examen de la demande d’injonction permanente mais alors personne ne s’était présenté à l’audience pour s’y opposer.

[16] Bien que la valeur juridique des « émotions » (« feelings ») soit maintenant en général reconnue, des distinctions ont été faites entre les différentes classes de cas dans lesquels une réparation peut ou non être attribuée. Ainsi, la peur occasionnée par une agression constitue un motif d’action mais il n’en va pas de même pour la peur suscitée par la négligence. Aussi, la peur couplée avec une blessure corporelle constitue un fondement pour des dommages et intérêts plus élevés mais, ordinairement, la peur qui n’a pas été suivie d’une blessure corporelle ne peut pas représenter un élément du dommage, même si un motif suffisant pour agir existe, comme dans l’intrusion quare clausum fregit. Wyman v. Leavitt, in Me., Vol.71, p.227 et suiv., Canning v. Williamstown, in Cush., Vol.1, p.451 et suiv. L’attribution de dommages et intérêts pour le préjudice moral des parents en cas de séduction, d’enlèvement d’enfant (Stowe v. Heywood, in All., Vol 7, p.118 et suiv.) ou d’enlèvement du corps d’un enfant d’un lieu d’enterrement (Meagher v. Driscoll, in Mass., Vol. 99, p.281 et suiv.) est considérée comme constitutive d’exceptions à la règle générale. Au contraire, la blessure morale est reconnue comme un élément pour l’appréciation du dommage dans les affaires de calomnie et de diffamation ainsi qu’en cas de poursuites malveillantes. Ces distinctions entre les cas où la blessure morale constitue ou non un motif pour agir ou un élément du dommage ne sont pas d’ordre logique mais sont indubitablement utilisées comme règles pratiques. On découvre, croit-on, en scrutant les autorités que chaque fois qu’une souffrance morale substantielle serait le résultat naturel et probable de l’acte, la réparation pour blessure morale a été accordée et que quand habituellement il n’y aurait pas de souffrance morale ou que sinon elle serait naturellement seulement insignifiante et que n’étant pas accompagnée de signes visibles de blessure, elle ouvrirait un vaste champ pour les maux imaginaires, les dommages et intérêts ont été refusés. Les décisions à ce sujet illustrent bien la subordination dans notre droit de la logique au bon sens.

[17] « L’injuria, dans le sens étroit, est toute violation intentionnelle et illégale de l’honneur, c’est-à-dire de la personnalité toute entière d’un autre. » « Maintenant, un outrage est commis non seulement quand un homme est frappé avec le poing, disons, ou avec un gourdin ou encore fouetté mais aussi lorsqu’un langage injurieux a été utilisé à son égard. » Salkowski, Roman Law, p.668 et p.669 note 2.

[18] « Il est certain que tout homme a un droit à garder pour lui ses sentiments, s’il le veut. Il a indubitablement un droit à juger s’il les rendra publics ou les confiera seulement à la vue de ses amis. » Le juge Yates, Millar v. Taylor, in Burr., Vol.4, 1769, p.2303 et suiv., à p.2379.

[19] Nicols v. Pitman, in Ch. D.,Vol.26, 1884, p.374 et suiv.

[20] Lee v. Simpson, in C. B., Vol.3, p.871 et suiv., à p.881 ; Daly V. Palmer, in Blatchf., Vol.6, p.256.

[21] Turner v. Robinson, Ir. Ch., Vol.10, p.121 et suiv., s. c. ib., p.510 et suiv.

[22] Drone on Copyright, p.102.

[23] « A supposer que le droit soit ainsi, quel en est le fondement à cet égard. Il ne peut pas, me semble-t-il, être rattaché à une source vraiment scripturaire. Ceux avec qui notre common law a débuté n’avaient probablement pas, parmi leurs nombreux mérites, celui d’être des clients de la littérature ; mais ils savaient le devoir et la nécessité de protéger la propriété et, avec cet objet général en tête, ils ont établi des règles providentiellement extensives, – des règles capables de s’adapter aux formes et aux modes variés de propriété que la paix et la culture pourraient découvrir et introduire. Le fruit du travail intellectuel, des pensées et des sentiments, enregistré et conservé par écrit, est devenu, comme la connaissance s’est étendue et la culture de la compréhension de l’homme a avancé, une sorte de propriété qu’on ne peut ignorer et l’interférence de la législation moderne sur le sujet, par la loi 8 Anne, exprimant dans son intitulé la volonté d’agir « pour l’encouragement de l’étude » et utilisant les mots « prise la liberté » dans son préambule, qu’elle fonctionne en faveur de l’accroissement des droits privés des auteurs ou au contraire en faveur de leur réduction, les ayants laissés dans une certaine mesure intacts, il a été trouvé que la common law, en fournissant la protection de la propriété, tout au moins avant la publication, garantissait leur sécurité tout au moins jusqu’à leur publication générale avec le consentement de l’auteur. » Le Vice Chancelier Knight Bruce, Prince Albert v. Strange, in DeGex and Sm., Vol.2, 1849, p.652 et suiv., à p.695.

[24] « La question, cependant, ne tourne pas autour de la forme ou du degré de préjudice ou d’avantage, de perte ou de gain. L’auteur des manuscrits qu’il soit célèbre ou obscur, qu’il soit à son apogée ou au plus bas, a un droit à dire d’eux, s’il est innocent, que quels qu’en soient l’intérêt ou l’absence d’intérêt, la légèreté ou le poids, le caractère vendable ou non, ils ne seront pas publiés. » Le Vice Chancelier Knight Bruce, Prince Albert v. Strange, in DeGex and Sm., Vol.2, p.652 et suiv., à p.694.

[25] Duke of Queensberry v. Shebbeare, Eden, Vol.2, 1758, p.329 et suiv. ; Bartlett v. Crittenden, McLean, Vol.5, 1849, p.32 et suiv., à p.41.

[26] Drone on copyright, p.102, 104 ; Parton v. Prang, in Clifford, Vol.3, 1872, p.537 et suiv., à p.548 ; Jefferys v. Boosey, in H. L. C., vol.4, 1854, p.815 et suiv., à p.815, 867, 962.

[27] « La question portera sur la possibilité pour la cour de prêter attention aux faits exposés dans la demande d’injonction. L’injonction ne peut pas s’appuyer sur un principe du type que si la lettre a été écrite en signe d’amitié, soit la continuation, soit l’interruption de l’amitié fournit un motif pour l’intervention de la cour. » Lord Eldon, Gee v. Pritchard, in Swanst., Vol.2, 1818, p.402 et suiv, à p.413. « Sous le principe de protection de la propriété, donc, la common law, dans les cas non affectés positivement ou négativement par la loi, protège la vie privée et le secret des pensées et des sentiments consignés par écrit et dont l’auteur désire qu’il demeurent non connus de tous. » Le Vice Chancelier Knight Bruce, Prince Albert v. Strange, in DeGex & Sm., Vol.2, p.652 et suiv., à p.695. « Une fois concédé que des raisons d’opportunité et de politique publique ne peuvent jamais servir de base pour l’action au civil, la question de savoir s’il y a un fondement sur lequel le demandeur peut obtenir la réparation à laquelle il prétend, reste sans réponse ; et il me semble qu’il n’en existe qu’un seul sur lequel il puisse s’appuyer et sur lequel notre compétence à lui fournir réparation peut s’établir. Nous devons considérer que la publication des correspondances privées sans le consentement de leur auteur constitue la violation d’un droit exclusif de propriété que conserve l’auteur même lorsque les lettres ont été envoyées à son correspondant et sont encore en possession de ce dernier. » Le juge Duer, Woolsey v. Judd, in Duer, Vol.4, 1855, p.379 et suiv., à p.384.

[28] « Un travail légalement publié au sens courant du terme, se trouve, à cet égard, me semble-t-il, dans une situation différente de celle d’une œuvre qui n’a jamais été dans un tel état. Le premier est susceptible d’être traduit, abrégé, analysé, coupé en morceaux, loué et traité de différentes autres manières encore, alors que ce n’est pas le cas pour la seconde. Supposons cependant – à la place de la traduction, de l’abrégé ou du compte rendu – le cas d’un catalogue. Supposons un homme qui a composé une variété d’oeuvres littéraires (l’« innocent » pour reprendre une expression de Lord Eldon) qu’il n’a jamais fait imprimer ou publier ou qui n’a pas perdu le droit d’empêcher qu’elles soient publiées – supposons une connaissance de celles-ci obtenue frauduleusement par une personne non scrupuleuse qui fait imprimer un catalogue descriptif ou même une simple liste des manuscrits en vue de sa diffusion sans autorisation, ni consentement, cela est-il permis par le droit ? J’espère et je crois que les mêmes principes qui empêchent la piraterie plus candide, gouvernent aussi un tel cas. Publier ce qu’un homme a écrit à certaines personnes ou sur tel ou tel sujet, peut l’exposer non seulement aux sarcasmes mais à la ruine. Il peut avoir en sa possession des lettres retournées qu’il avait écrites à d’anciens correspondants avec lesquels avoir été en relation, même de manière anodine, peut ne pas être par la suite une recommandation ou ses écrits peuvent d’une autre manière encore être d’un genre qui ne colle totalement pas avec son comportement extérieur et sa position sociale. Il est des professions où être reconnu coupable de faire de la littérature est dangereux, même si l’on échappe parfois au danger. Les manuscrits peuvent encore être ceux d’un homme sur la foi du nom duquel une simple liste ferait l’objet d’une grande curiosité. Combien de gens, dont on pourrait citer le nom, dont un catalogue des œuvres non publiées serait d’une vente facile, de leur vivant ou après leur mort ! » Le Vice Chancelier Knight Bruce, Prince Albert v. Strange, in DeGex & Sm., Vol.2, p.652 et suiv., à p.693.

[29] « La copie ou l’impression de gravures ne serait qu’un moyen de communiquer la connaissance de l’original ou une information sur celui-ci et une liste ou une description de celles-ci ne fait-elle pas la même chose ? L’outil n’est pas le même mais l’objet et l’effet sont similaires ; en effet, dans les deux cas, l’objet et l’effet sont de porter à la connaissance du public plus ou moins de l’œuvre ou des compositions non publiées de l’auteur qu’il est en droit de réserver totalement à son usage personnel et à son plaisir secret et de soustraire entièrement ou dans la mesure où il lui plaît à la connaissance des autres. Les cas des abrégés, des traductions, des extraits et des critiques d’œuvres publiées n’ont rien à voir avec le présent problème ; ils dépendent tous de l’étendue des droits conférés par les lois sur les droits d’auteur et ne présentent aucune analogie avec les droits exclusifs de l’auteur de compositions non publiées, qui dépendent entièrement du droit de propriété de la common law. » Lord Cottenham, Prince Albert v. Strange, in McN & G., Vol.1, 1849, p.23 et suiv., à p.43. « M. le juge Yates, Millar v. Taylor, dit que le cas d’un auteur est exactement similaire à celui de l’inventeur d’un nouvel engin mécanique ; que les deux inventions originales se trouvent sur un pied d’égalité en ce qui concerne la propriété qu’il s’agisse d’une machine ou de littérature, d’un poème épique ou d’un planétaire ; que l’immoralité de la piraterie de l’invention d’un autre homme est aussi grande que celle de voler ses idées. La propriété des réalisations mécaniques ou des œuvres d’art produites par un homme pour sa propre distraction, pour son instruction ou pour son usage subsiste, à coup sûr, avant publication par lui, et il m’apparaît qu’il peut lui être porté atteinte, non seulement par la copie mais également par la description ou le catalogage. Un catalogue de telles œuvres peut en lui-même avoir de la valeur. Il peut tout aussi réellement dévoiler l’inclination et la tournure d’esprit, les sentiments et les goûts de l’artiste, particulièrement si ce n’est pas un professionnel, qu’une liste de ses écrits. Le carton à dessin ou l’atelier peuvent en révéler autant que la table de travail de l’écrivain. Un homme peut s’employer en privé d’une manière très anodine mais qui, si elle était portée à la connaissance de la société, serait susceptible de détruire le confort de sa vie ou de même compromettre son succès. Chacun, cependant, à ce que je conçois, a un droit à dire que le produit de ses heures privées n’est pas plus publiable sans son consentement parce que la publication doit être à son crédit et à son avantage, qu’il ne le serait dans des circonstances opposées. Je pense, en conséquence, non seulement que le défendeur dans le cas présent viole les droits du demandeur mais aussi que cette violation est d’un type tel et affecte cette propriété d’une façon telle qu’elle ouvre droit pour le demandeur au remède préventif de l’injonction ; et si ce n’est pas d’autant plus, cependant c’est certainement pour le moins qu’elle est une intrusion – une intrusion incongrue et inconvenante – une intrusion non seulement contraire aux règles conventionnelles mais choquante pour le sens inné, naturel à tout homme, de ce qui convient – si intrusion est le terme approprié pour décrire parfaitement un espionnage sordide dans le privé de la vie domestique – dans la maison (« home ») (un mot jusqu’ici sacré parmi nous), la demeure d’une famille dont la vie et la conduite constitue un titre reconnu, bien que ce ne soit pas leur seul titre incontestable, au respect le plus marqué dans ce pays. » Le Vice Chancelier Prince Albert v. Strange, in DeGex & Sm., Vol.2, p.652 et suiv., à p.696, 697.

[30] Kiernan v. Manhattan Quotation Co., in How. Pr., Vol.50, 1876, p.194.

[31] « Le conseil des défendeurs dit qu’un homme qui prend connaissance de la propriété d’un autre sans son consentement n’est pas tenu par une quelconque règle ou une quelconque principe qu’une cour de justice pourrait appliquer (aussi secrètement qu’elle ait été gardée ou qu’on se soit efforcé de la garder) de ne pas divulguer ou publier ce qui est parvenu à sa connaissance, dans le monde, sans le consentement du propriétaire à informer le monde de ce qu’est cette propriété ou à sa description publique par oral, par imprimé ou par écrit. Je prétends cependant mettre en doute, en ce qui concerne la propriété de nature privée que le propriétaire, sans empiéter sur les droits de quiconque, veut conserver et conserve dans un état de caractère privé, qu’il soit certain qu’une personne qui, sans le consentement du propriétaire, exprès ou implicite, en acquiert la connaissance, puisse légalement se servir de cette connaissance ainsi acquise pour publier sans consentement une description de la propriété. Il est certainement vrai qu’une telle publication peut se présenter d’une manière ou être en relation avec la propriété d’une façon telle que la question relative à la légalité de l’acte soit trop mince pour mériter l’attention. Je peux concevoir des cas cependant dans lesquels un acte de la sorte peut être si circonstancié ou relié à la propriété de façon telle que le sujet puisse affecter lourdement l’intérêt ou les sentiments du propriétaire ou les deux à la fois. Par exemple, il peut être pénible et gravement préjudiciable pour un artiste que la nature ou l’intention d’une de ses œuvres inachevées soit prématurément divulguée au monde ; et il ne serait pas difficile non plus d’évoquer d’autres exemples… On a avancé que publier le catalogue des pierres précieuses, des antiquités ou de telles autres curiosités détenues par un collectionneur, par exemple, sans son consentement, serait faire usage de sa propriété sans son consentement ; et il est sans aucun doute vrai qu’un tel procédé peut non seulement empoisonner la vie d’un collectionneur alors qu’elle en flatterait un autre, – qu’il peut non seulement s’agir d’une calamité immatérielle – mais qu’il peut aussi créer un dommage au sens le plus matériel du terme au propriétaire. De tels catalogues, même s’ils ne sont pas descriptifs, sont souvent recherchés et atteignent parfois des prix très substantiels. Ceux-ci, en conséquence, et les cas similaires, ne restent pas nécessairement des exemples d’une douleur infligée du point de vue du sentiment ou de l’imagination simplement ; ils peuvent être cela et autre chose par ailleurs. » Le Vice Chancelier Bruce Knight, Prince Albert v. Strange, in DeGex & Sm., Vol.2, p.652 et suiv., à p.689, 690.

[32] Hoyt v. McKenzie, in Barb. Ch.,Vol.3, 1848, p.320 et suiv., à p.324 ; Wetmore v. Scovell, in Edw. Ch., 1842, p.515 et suiv. See Sir Thomas Plumer, in Ves. & B., Vol.2, 1813, p.19.

[33] Woolsey v. Judd, in Duer, Vol.4, 1855, p.379 et suiv., à p.404. « Il a été décidé, heureusement pour le bien-être de la société, que l’auteur de lettres, même si elles ont été écrites sans but lucratif ou considération de propriété littéraire, possède un tel droit de propriété sur elles, qu’elles ne peuvent pas être publiées sans son consentement, à moins que des fins de justice civile ou pénale n’en exigent la divulgation. » Sir Samuel Romilly, argumentant in Gee v. Pritchard, in Swanst., Vol. 2, 1818, p.402 et suiv., à p.418. Mais voir High on Injunctions, 3rd ed., § 1012, allant en sens inverse.

[34] « Cependant un doute a été émis concernant les simples lettres privées dont l’auteur n’a pas eu l’intention d’en faire des compositions littéraires : ont-elles droit à être protégées par injonction de la même manière que les compositions à caractère littéraire ? Le doute est probablement né de l’habitude de ne pas faire la distinction entre les différents droits de propriété qui sont l’apanage d’un manuscrit non publié et ceux qui sont le propre d’un manuscrit publié. Ce dernier, comme je l’ai indiqué dans un autre contexte, est un droit de tirer les profits d’une publication. Le premier est un droit de contrôler l’acte de publication et de décider s’il y aura ou non publication. On a parlé de droit de propriété ; l’expression n’est peut-être pas vraiment satisfaisante mais, d’un autre côté, elle est suffisamment descriptive d’un droit qui, tout immatériel qu’il soit, implique nombre des éléments essentiels de la propriété et est au moins positif et défini. L’expression ne nous permet pas de douter du sens que lui ont conféré les juges éminents qui l’ont appliquée au cas de manuscrits non publiés. Ils entendaient manifestement l’utiliser pas autrement qu’en opposition aux simples intérêts de sentiment et décrire un droit substantiel à caractère juridique. » Curtis on Copyright, p.93, 94. La ressemblance entre le droit à empêcher la publication d’un manuscrit non publié et les droits bien reconnus à l’intégrité personnelle (« personal immunity ») se fonde sur son traitement en matière de droits des créanciers. Le droit d’empêcher une telle publication et le droit à agir contre la violation de celui-ci, de même que la cause d’une action pour agression, coups, diffamation ou poursuite malveillante ne sont pas des avoirs à la disposition des créanciers. « Il n’existe aucune loi qui puisse contraindre un auteur à publier. Personne ne peut décider sur cette question essentielle de la publication si ce n’est l’auteur. Ses manuscrits, quelle qu’en soit la valeur, ne peuvent pas, sans son consentement, être saisis comme propriété par ses créanciers. » Le juge McLean, Bartlett v. Crittenden, in McLean, Vol.5, 1849, p.32 et suiv., à p.37. Il a aussi été décidé que même quand les droits de l’envoyeur ne sont pas affirmés, celui qui reçoit une lettre n’en a pas la propriété de manière telle qu’elle passe à son exécuteur testamentaire ou à son administrateur comme un bien vendable. Eyre v. Higbee, in How. Pr. (N. Y.), Vol.22, 1861, p.198. « La vraie signification du mot « propriété » en son sens juridique est ce qui est particulier ou propre à une personne, ce qui appartient exclusivement à soi. » « Proprius », le mot d’où l’expression est dérivée, a pour signification première « à soi ». Drone on Copyright, p.6. Il est clair qu’une chose doit pouvoir être identifiée pour faire l’objet d’une propriété exclusive. Mais dès lors que son identité peut être déterminée, de sorte que la propriété individuelle puisse être affirmée, peu importe qu’elle soit matérielle ou immatérielle.

[35] « Telle étant donc, je crois, la nature et le fondement de la common law en ce qui concerne les manuscrits indépendamment des adjonctions et des soustractions du Parlement, son champ d’application ne peut pas par nécessité être limité aux sujets littéraires. Ce serait limiter la règle à l’exemple. Chaque fois que le produit du travail est susceptible d’une violation d’une façon analogue, il doit exister, je le suppose, un titre à une protection ou à un remède analogue. » Le Vice Chancelier Knight Bruce, Prince Albert v. Strange, in DeGex & Sm., Vol.2, p.652 et suiv., à p.696.

[36] « La question, donc, est de savoir si un photographe qu’un client ou une cliente a employé pour tirer son portrait est justifié à tirer des copies de cette photographie pour son propre usage ; à les vendre et à en disposer, sans l’autorisation du client, expresse ou tacite. Je dis « expresse ou tacite » parce qu’il est souvent permis à un photographe, à sa propre demande, de prendre la photographie d’une personne dans des circonstances où une vente subséquente par lui doit avoir été envisagée par les deux parties, bien que non effectivement mentionnée. Ainsi ma réponse à la question posée est négative : le photographe n’est pas justifié à le faire. Quand une personne obtient des informations dans le cadre d’un emploi confidentiel, le droit ne lui permet pas de faire un usage impropre des renseignements ainsi obtenus ; et une injonction est accordée, si nécessaire, pour empêcher un secrétaire de divulguer les comptes de son patron ou un avocat de rendre publiques les affaires de son client, choses apprises dans le cadre de leur emploi. Redisons-le : le droit pose clairement que la violation d’un contrat, qu’il soit exprès ou tacite, peut être l’objet d’une injonction de ne pas faire. Selon moi, le cas du photographe tombe dans le champ des principes dont dépendent ces deux classes de cas. L’objet pour lequel il est employé et payé est de fournir à son client le nombre demandé de photographies imprimées d’un sujet donné. A cette fin, le négatif est pris par le photographe sur du verre ; et de ce négatif des copies peuvent être imprimées en plus grand nombre que ce qui est généralement commandé par le client. Le client qui pose pour le négatif remet ainsi la capacité de reproduire l’objet dans les mains du photographe ; et, pour moi, le photographe qui utilise le négatif pour produire d’autres copies à usage personnel, sans autorisation, abuse du pouvoir qui a été placé confidentiellement dans ses mains simplement dans le but de service au client ; et, en outre, je soutiens que la transaction entre le client et le photographe inclut, de façon implicite, un accord que les impressions tirées du négatif doivent être affectées à l’usage du client. » Se référant aux opinions exposées dans Tuck v. Priester (in Q. B. D., Vol.19, p.639 et suiv.), le juge savant de poursuivre : « Le Lord Juge Lindley dit alors : « je vais d’abord traiter de l’injonction qui se fonde ou peut se fonder sur une base tout à fait différente des sanctions ou des dommages et intérêts. Il m’apparaît que la relation entre les demandeurs et le défendeur était telle que peu importe la possession ou non d’un droit d’auteur par les demandeurs, le défendeur a fait ce qui le rend passible d’une injonction. Il avait été employé par les demandeurs pour faire un certain nombre de copies d’un tableau et cet emploi impliquait nécessairement en lui-même que le défendeur ne devait pas faire d’autres copies pour lui-même ou vendre les copies en plus, dans ce pays, en concurrence avec son employeur. Une telle conduite de sa part constituait une violation grave du contrat et une violation grave de la confiance et, à mon avis, ouvrait droit pour les demandeurs à une injonction qu’ils aient eu ou non un droit d’auteur sur le tableau. Ce cas est d’autant plus notable que le contrat était mis par écrit ; et cependant il fut tenu comme une condition implicite que le défendeur ne devait pas faire de copies pour lui-même. L’expression « une violation grave de la confiance », utilisée par le Lord Juge Lindley dans ce cas vaut avec le même force dans le cas présent où les sentiments d’une dame ont été choqués par le fait de découvrir que le photographe dont elle avait loué les services pour faire son portrait pour son usage personnel en exposait publiquement et en vendait des copies. » Le juge North, Pollard v. Photographic Co., in Ch. D., Vol 4, 1888, p.345 et suiv., à p.349-52. « On peut dire également que les cas auxquels je me suis référé sont tous des cas où il y avait eu violation d’un certain droit de propriété, fondé sur la reconnaissance par le droit de la protection due aux produits de l’industrie ou du travail intellectuel d’un homme ; alors que, dans le cas présent, la personne photographiée n’a rien fait pour mériter une telle protection qui a pour but de prévenir la survenance de dommages juridiques et non une simple atteinte aux sentiments. Cependant une personne dont la photographie est prise par un photographe n’est pas ainsi abandonnée par le droit ; parce que la loi des 25 et 26 Vict., c.68, s. i, dispose que lorsque le négatif de la photographie est pris ou réalisé pour ou au nom d’une autre personne, pour un juste motif, la personne qui prend ou réalise celui-ci ne conservera pas le droit d’auteur sur celui-ci, à moins qu’il ne lui ait été expressément réservé par accord écrit, signé par la personne pour laquelle ou au nom de laquelle celui-ci a été pris ou exécuté ; mais le droit d’auteur appartiendra à la personne pour laquelle ou au nom de laquelle celui-ci a été pris ou réalisé. Il en résulte que, dans le cas présent, ce droit d’auteur sur la photographie appartient à l’un des demandeurs. Il est vrai, à n’en pas douter que la sect. 4 de la même loi dispose qu’aucun propriétaire du droit d’auteur n’aura droit au bénéfice de la loi avant l’enregistrement ; et c’était, je présume, parce que la photographie de la défenderesse n’avait pas été enregistrée que le conseil n’a pas fait référence à la loi au cours de sa plaidoirie. Cependant, bien que la protection contre le monde en général, conférée par la loi, ne puisse pas s’appliquer jusqu’à l’enregistrement, cela ne prive pas les demandeurs de leur droit de la common law d’agir contre le défendeur pour violation du contrat ou trahison de confiance. Ceci ressort tout à fait clairement des cas Morison v. Moat [Hare, Vol.9, p.241 et suiv.] et Tuck v. Priester [Q. B. D., Vol.19, p.629 et suiv.] auquel il a déjà été fait référence et où dans le second il était question de la même loi du Parlement. » Le juge Per North, in ibid., p.352. Ce langage suggère que le droit de propriété sur les photographies ou les portraits peut être créé par la loi et n’existerait pas en l’absence d’enregistrement ; mais il est avancé ici qu’il doit être tenu dans ce cas, comme il l’a été dans les cas similaires, que la disposition législative devient immédiatement applicable seulement quand il y a publication et qu’avant l’acte d’enregistrement, il y a propriété de la chose sur laquelle la loi doit s’appliquer.

[37] Duke of Queensberry v. Shebbeare, in Eden, Vol.2, p.329 ; Murray v. Heath, in B. & Ad., Vol.1, p.804 et suiv. ; Tuck v. Priester, in Q. B. D., Vol.19, p.629 et suiv.

[38] Voir le juge Story, in Folsom v. Marsh, Story, Vol.2, 1841, p.100 et suiv., à p.111. « S’il [celui qui reçoit une lettre] essaie de publier une telle lettre ou de telles lettres en d’autres occasions, non justifiables, une cour d’équité empêchera la publication par une injonction, en tant qu’elle représente une violation de la confiance privée ou d’un contrat ou des droits de l’auteur ; et cela a fortiori s’il essaie de les publier pour en tirer profit ; parce qu’alors ce n’est pas seulement une rupture de confiance ou de contrat mais c’est une violation du droit d’auteur exclusif de l’écrivain… La propriété générale et les droits généraux incidents à la propriété appartiennent à l’écrivain…que les lettres soient des compositions littéraires, des lettres familières, des descriptions de faits ou des lettres d’affaires. La propriété générale des manuscrits demeure à l’auteur ou à ses représentants, tout comme le droit d’auteur général. A fortiori, les tiers, qui n’ont aucun lien d’intimité avec l’une ou l’autre partie ne sont pas en droit de les publier au service de leurs propres intérêts privés, de la curiosité ou de la passion. »

[39] « Celui qui reçoit une lettre n’est pas un dépositaire, ni ne se trouve dans une position analogue à celle d’un dépositaire. Il n’y a pas de droit à la possession, présente ou future, chez l’écrivain. Le seul droit à s’appliquer contre le détenteur est un droit à empêcher la publication et pas celui d’exiger le manuscrit de son détenteur aux fins de publication par soi. » De l’honorable Joel Parker, cité dans Grigsby v. Breckenridge, in Bush., Vol.2, 1857, p.480 et suiv., à p.489.

[40] Dans Morison v. Moat (Hare, Vol.9, 1851, p.241 et suiv., à p.255), une action en vue d’une injonction pour interdire l’usage d’un composé médical secret, le Vice Chancelier Sir George James Turner a dit : « Que la cour se soit reconnu le droit d’intervenir dans des cas de cette nature est, à mon avis, absolument incontestable. Des fondements différents ont été assignés à cette compétence. Dans certains cas, on s’est référé à la propriété, dans d’autres au contrat et dans d’autres encore, le traitement s’est fondé sur la confiance, – ce qui signifie, me semble-t-il, que la cour a relié l’obligation à la conscience de la partie et l’a appliquée contre celle-ci de la même manière qu’elle l’appliquerait contre une partie à laquelle un avantage a été donné, l’obligation de répondre à la promesse sur la base de laquelle le bénéfice a été conféré ; mais quel que soit le fondement sur lequel l’intervention du juge s’enracine, les autorités ne laissent aucun doute sur son exercice. »

[41] Une croissance du droit similaire montrant la transformation de droits contractuels en droits de propriété se retrouve dans le droit sur la clientèle. Il y a des indications dès l’époque des Years Books [N. d. t. : c’est-à-dire des annuaires], de commerçants qui s’efforçaient de s’assurer par contrat les avantages aujourd’hui désignés sous le nom de « cession de clientèle » (« goodwill ») mais ce n’est qu’en 1743 que la cession de clientèle a reçu la reconnaissance juridique comme propriété indépendante des contrats personnels des commerçants. Voir Allan on Goodwill, p.2, 3.

[42] L’application d’un principe existant à un nouvel état de fait n’est pas de la législation judiciaire. L’appeler ainsi est prétendre que le corps du droit existant est constitué pratiquement de lois et de cas décidés et nier l’existence même des principes (dont les cas sont habituellement présentés comme étant la preuve). Ce n’est pas l’application d’un principe existant à de nouveaux cas mais l’introduction d’un nouveau principe qui peut être qualifiée à juste titre de législation judiciaire. Mais même le fait qu’une certaine décision impliquerait de la législation judiciaire ne devrait pas être pris comme concluant contre la justification à la faire. Ce pouvoir a été exercé de façon constante par nos juges quand ils appliquaient à un nouvel objet les principes de la justice privée, d’adéquation morale et de convenance publique. En réalité, l’élasticité de notre droit, sa capacité à s’adapter à des conditions nouvelles, son aptitude à croître qui lui a permis de répondre aux besoins d’une société toujours changeante et de trouver un remède immédiat pour tout mal reconnu est son plus grand motif de fierté. « Je ne peux pas comprendre comment une personne qui a réfléchi sur le sujet, puisse supposer que la société aurait eu la capacité à se maintenir si les juges n’avaient pas légiféré et qu’il y ait un danger quelconque à leur reconnaître ce pouvoir, qu’ils ont en fait exercé pour remédier à la négligence et à l’incapacité du législateur en titre. Cette part du droit de tout pays qui a été faite par les juges a été de beaucoup meilleure que celle qui est constituée par les lois adoptées par le législateur. » Austin, Jurisprudence, Vol.1, p.224 (dans le texte en anglais). Les cas auxquels il est fait référence ci-dessus montrent que la common law a pendant un siècle et demi protégé la vie privée dans certains cas et accorder la protection renforcée maintenant suggérée consisterait simplement en une autre application d’une règle existante.

[43] Loi relative à la Presse. 11 Mai 1868. « 11. Toute publication dans un écrit périodique relative à un fait de la vie privée constitue une contravention punie d’une amende de cinq cents francs. La poursuite ne pourra être exercée que sur la plainte de la partie intéressée. » Rivière, Codes Français et Lois Usuelles. App. Cod. Pén., p.20.

[44] Voir Campbell v. Spottiswoode, in B. and S., Vol.3, p.769 et suiv., à p.776 ; Henwood v. Harrison, L. R. in C. P. , Vol.7, p.606 et suiv. ; Gott v. Pulsifer, in Mass., Vol.122, p.235 et suiv.

[45] « Nos mœurs n’admettent pas la prétention d’enlever aux investigations de la publicité les actes qui relèvent de la vie publique, et ce dernier mot ne doit pas être restreint à la vie officielle ou à celle du fonctionnaire. Tout homme qui appelle sur lui l’attention ou les regards du public, soit par une mission qu’il a reçue ou qu’il se donne, soit par le rôle qu’il s’attribue dans l’industrie, les arts, le théâtre, etc. ne peut plus invoquer contre la critique ou l’exposé de sa conduite d’autre protection que les lois qui répriment la diffamation et l’injure. » Cir. Mins. Just. 4 juin 1868. Rivière, Codes Français et Lois Usuelles, App. Code Pén. 20 n (b).

[46] « Celui-là seul a droit au silence absolu qui n’a pas expressément ou indirectement provoqué ou autorisé l’attention, l’approbation ou le blâme. » Circ. Mins. Just., 4 Juin, 1868. Rivière, Codes Français et Lois Usuelles, App. Code Pén. 20 n (b). Le principe ainsi exprimé est évidemment destiné à exclure l’investigation tous azimuts du passé d’hommes publics importants, trop familière au public américain et aussi, malheureusement, à laquelle il se complaît ; bien qu’ils n’aient pas droit au « silence absolu » que les hommes moins en vue peuvent revendiquer pour eux-mêmes, ils peuvent malgré tout exiger que tous les détails de leur vie privée au sens le plus strict échappent à tous les regards.

[47] Cette limitation au droit d’empêcher la divulgation de lettres privées a été reconnue très tôt : « Mais nonobstant ce droit [de l’auteur des lettres], les personnes auxquelles elles sont adressées ont et doivent avoir le droit impliqué de divulguer toute lettre ou toutes lettres adressées à elles, dans les circonstances qui exigent ou justifient la divulgation ou l’usage public de celles-ci, mais ce droit est strictement limité à ces cas. Ainsi une personne peut être justifiée à utiliser ou à divulguer dans un procès en justice ou en équité, une telle ou de telles lettres en tant que cela est nécessaire ou approprié pour établir son droit à soutenir son action ou pour argumenter celle-ci. Ainsi, s’il est éclaboussé ou présenté sous un mauvais jour par l’auteur, ou accusé par lui d’une conduite impropre, de façon publique, il peut divulguer les parties d’une telle ou de telles lettre mais pas plus qu’il n’est nécessaire pour défendre son honneur et sa réputation ou se libérer d’un opprobre ou d’un reproche injuste. » Le juge Story, Folsom v. Marsh, in Story, Vol.2, 1841, p.100, 110, 111. L’existence d’un droit quelconque pour celui qui a reçu les lettres à les divulguer a été nié de façon acharnée par Mr. Drone ; mais le raisonnement sur lequel il fonde son refus ne semble pas satisfaisant.

[48] Townsend on Slander and Libel, 4è ed., § 18 ; Odgers on Libel and Slander, 2è ed., p.3.

[49] « Mais aussi longtemps que le commérage est resté oral, il ne s’est répandu, en ce qui concerne n’importe quel individu, que dans une zone très petite et est resté confiné au cercle immédiat de ses connaissances. Il n’a pas atteint ou seulement rarement atteint ceux qui ne savaient rien de lui. Son nom, sa dégaine ou ses conversations ne sont pas devenus de ce fait familiers aux étrangers. Et, plus encore, cela lui évite la souffrance et l’humiliation de savoir qu’il a fait l’objet de commérages. Un homme entend rarement les commérages à son propos qui l’ont simplement ridiculisé ou ont simplement enfreint son droit légitime à la vie privée mais n’ont pas véritablement porté atteinte à sa réputation. Sa paix et son confort n’ont, par conséquent, été qu’à peine affectés par eux. » E. L. Godkin, « The Rights of the Citizen : To his Reputation », in Scribner’s Magazine, July1890, p.66 et suiv. Le Vice Chancelier Knight Bruce a suggéré, dans Prince Albert v. Strange, in DeGex & Sm., Vol.2, p.652 et suiv., qu’une distinction serait faite en ce qui concerne le droit à la vie privée en matière d’oeuvres d’art entre une description orale et une description écrite ou un catalogue.

[50] Voir Drone on Copyright, p.121, 289, 290.

[51] Comparez avec le droit français : « En prohibant l’envahissement de la vie privée, sans qu’il soit nécessaire d’établir l’intention criminelle, la loi a entendu interdire toute discussion de la part de la défense sur la réalité des faits. Le remède eût été pire que le mal, si un débat avait pu s’engager sur ce terrain. » Circ. Mins. Just., 4 juin 1868. Rivière, Codes français et lois usuelles, App. Code Pén., 20 n (a).

[52] Comparer avec Drone on Copyright, p.107.

[53] Comparer High on Injonctions, 3è ed., § 1015 ; Townsend on Libel and Slander, 4è ed., § 417 a – 417 d.

[54] Le projet suivant de proposition de loi a été préparé par Me William H. Dunbar du Barreau de Boston, comme suggestion pour une législation possible : « Section 1. Quiconque publie dans tout journal, magazine ou autre publication périodique des propos concernant la vie privée ou les affaires de quelqu’un d’autre, après que cette personne lui ait demandé par écrit de ne pas publier de tels propos ou tous autres propos le concernant, sera puni d’emprisonnement dans la prison d’Etat pour cinq ans ou plus, d’emprisonnement dans une autre prison n’excédant pas deux ans ou d’une amende n’excédant pas mille dollars ; cependant nul propos concernant le comportement ou les qualifications d’une personne exerçant ou ayant exercé ou cherchant à obtenir une charge publique ou une fonction publique ou qui, au moment de la publication, est candidate à une telle charge ou fonction, ou pressentie comme candidate et nul propos concernant toute personne en rapport avec son statut, ses affaires, sa profession ou son métier, qui placent cette personne en position publique ou en relation avec les qualifications pour un tel statut, une telle activité, une telle profession ou un tel métier d’une personne exposée de ce fait au regard du public ou aspirant à le devenir et aucun propos concernant un acte fait par une personne dans l’espace public ou tout autre propos d’intérêt public et général par son objet ne sera considéré comme un propos concernant la vie privée ou les affaires privées d’une telle personne, au sens de cet acte. Section 2. Que le propos qui fait l’objet de la plainte soit vrai ou qu’il ait été divulgué sans intention malveillante ne pourra pas constituer une défense lors de poursuites pénales intentées dans le cadre de la Section 1 de cette loi ; mais personne ne sera passible de sanction pour tout propos diffusé dans des circonstances telles que s’il était diffamatoire, se publication entrait dans le cadre des publications privilégiées. »

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